Médée - Christa Wolf


Je viens de finir la version de Christa Wolf de l'histoire de Médée.

Dans l'histoire telle qu'elle est racontée habituellement, Médée, princesse de Colchide et magicienne, aide par ses pouvoirs un aventurier un peu nullard, Jason (au volant de l'Argos), un corinthien venu voler la toison d'or dans le royaume de Colchide. Médée et Jason doivent s'enfuir vers Corinthe, la famille de Médée n'est pas contente du tout du vol, même si la toison d'or ça sert à rien, c'est une question de principe. La fuite se passe mal, le frère de Médée est tué par celle ci et encore ses pouvoirs. Arrivé à Corinthe, Jason, en pleine crise de nullardise, en a un peu marre et décide de se marier avec quelqu'un d'autre. Ca énerve Médée, qui a quand même mis le temps pour réaliser que Jason était nullard, et elle tue ses propres enfants avant de mettre un souk pas possible dans Corinthe et de quitter enfin le nullard.

Chez Christa Wolf, ça change un peu. Médée est gentille et plutôt brave fille un peu naïve quoique très intelligente. Elle ne tue personne, mais son attitude de justice inflexible et idéaliste alliée à une volonté de liberté sans borne met en évidence les mensonges, les compromissions et les lâchetés des autres, aussi bien en Colchide qu'à Corinthe. Ceux-ci sont irrités par l'image de corrompus qu'elle leur renvoie et mettent sur son dos les pires horreurs, d'autant plus facilement qu'elle est une femme et que les femmes font peur et sont traditionnellement écartées du pouvoir. Médée, qui croit possible la vie dans son idéal, découvre les secrets des uns et des autres mais ne cherche ni à se défendre des accusations contre elle, ni à dénoncer la situation ni les crimes occultes.

Le récit est conté par 6 voix, dont celle de Médée. Ces récits sont la narration de l'aventure de Médée mais surtout un portrait des divers acteurs du pouvoir à Corinthe. Portrait psychologiques à la première personne des errements des uns et des autres et de l'image qu'ils se font de Médée.

Christa Wolf veut faire écho à l'histoire contemporaine dans le mythe et il semble s'agir aussi de la situation de l'Allemagne après la réunification. Il ne s'agit pas d'une transposition précise, mais d'une évocation de ce pays égalitaire, la Colchide, qui n'a jamais existé dans la réalité tel qu'il se dépeignait, et d'un exil vers ce pays plus riche, Corinthe, brillant mais inégalitaire et fondé sur un crime dissimulé.

J'ai trouvé cette citation de Christa Wolf :

"Médée s'imposa à moi comme une femme à la frontière entre deux systèmes de valeurs, concrétisés d'une part par sa patrie, la Colchide, et d'autre part par le lieu où elle a trouvé refuge, Corinthe, […], Corinthe, la riche cité dorée, qui ne supporte pas la guérisseuse hautaine, sûre d'elle, compétente qui devine que la cité s'est construite sur le crime. On sacrifie des êtres humains à deux idoles, pouvoir et la richesse. Il faut calomnier cette femme, l'humilier, la chasser, la supprimer. On lui accroche pour l'éternité l'étiquette d'infanticide. Les meurtriers de ses enfants auront l'hypocrisie de rendre hommage à leurs victimes. Toute tentative pour tirer au clair les circonstances du meurtre en essayant de comprendre, d'élucider, de changer les comportements est rendue impossible. L'Histoire se met en marche."
Christa WOLF."


Très franchement, je ne sais pas si le sous-entendu politique est si bien amené que cela, sans le commentaire un peu lourdingue, je me demande si je ne serais pas passé à côté. En le situant dans un contexte mythologique, Christa Wolf donne peut-être une portée plus générale à son histoire, la conclusion (spoiler) est que Médée refuse d'abandonner son idéal de justice et de liberté même s'il elle s'interroge sur la possibilité de l'avènement d'un monde dans lequel il serait viable.

Je suis mitigé, c'est une relecture du mythe intéressante, mais pourquoi refuser de donner des pouvoirs à Médée ? Finalement on tombe peut-être dans une espèce de banalité en soumettant Médée à une bête théorie du complot présentée comme une sorte de contre-enquête policière.

Pas mécontent de l'avoir lu, mais pas non plus ébloui.

Commentaires

Anonyme a dit…
Pas ébloui non plus, mais c'est très symptomatique de l'époque dans laquelle le livre est écrit. C'est quand même conceptuellement plutôt bien fichu, et la langue est vraiment intéressante.

Il y a aussi un opéra de Michèle Reverdy, très bien lui aussi, qui en est (librement) tiré.

Je crois que ça mériterait plus ample papotage, je vais essayer de repasser.

[Car tu me voles un sujet de notule prévu pour 2015 environ.]
Fanch a dit…
Mon message n'est pas non plus ce qui se fait de mieux, je crois que le sujet reste largement ouvert :p (pas de prétextes fallacieux pour ne pas écrire un article intéressant, lui) :). Tu as raison, j'aurais pu signaler que c'est bien écrit
Anonyme a dit…
il me semble que cela raconte quand même que les histoires que l'on racontes ( mythes, textes sacrés, histoire retenue pour les manuels...)font le monde. A l'heure où les fictions qu'on nous fabrique en haut lieu doivent nous servir de réel, cette relecture de Médée est quand même sacrément politique. Et diablement féministe!
Fanch a dit…
Oui, ça se veut politique. Plutôt désabusé.

Pour le message féministe, je trouve que c'est un ratage.

Christa Wolf écrit une Médée devenue inoffensive : elle est victime, pleine de mansuétude, toujours accusée à tort. C'est une Médée dont Christa Wolf a limé les crocs et les dents, et bourrée de tranquillisants.

Il me semble que ce n'est pas ainsi que le personnage est intéressant. Et je ne comprend pas en quoi la présenter comme une brave fille naïve et tricarde est féministe.
Anonyme a dit…
J'écris mon mémoire entre autre sur le roman de Christa Wolf. Et je ne suis pas d'accord avec vos commentaires de lecture. La figure mythique de Médée a évolué au cours des siècles; Christa Wolf se tourne vers des versions antérieures à celle d'Euripide qui le premier en 431 avant JC a accusé Médée d'infanticide volontaire. Christa Wolf dans la lignée de Simone de Beauvoir sur ce point s'amuse à écrire une histoire qui ne découle pas uniquement de l'imaginaire masculin ouvert par Euripide.
Cela dit, toute réécriture d'un mythe est par définition une "ré"écriture. Ce qui est intéressant, ce sont les évolutions, les changements d'éclairage sur un personnage.
Une Médée innocente? certes. En quoi est-ce encore une Médée?
Ce roman a été écrit au XXème (contexte de la reféminisation du mythe littéraire) et en 1996 (contexte de la Wende en Allemagne.)
Relecture politique, certes. Relecture féministe, certes. Mais ce ne sont que des lectures, des clefs. Or une oeuvre littéraire est toujours plus intelligente que son auteur qui n'a pas pensé à tout. Il faut voir plus loin et démêler les ficelles. Si la figure de Médée vous intéresse, allez lire la courte pièce de théâtre de Laurent Gaudé "Médée Kali"!
Fanch a dit…
Merci pour ce commentaire, il donne envie de lire les version de Médée antérieures à celle d'Euripide. Est-ce que Christa Wolf l'a fait délibérément?

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